Ça déménage

L'Escargot reste sur son trapèze, mais se balance désormais par ici — suivez-le donc !

Motion Factory

L’Escargot recommande chaudement à ses lecteurs de s’en aller voir, jusqu’au 10 août prochain (si tant est qu’il s’en trouve de parisiens — d’un jour, aussi bien), à la Gaîté lyrique (dont, par ailleurs, on conseille en toute saison l’épatante fréquentation), l’exposition Motion Factory, consacrée aux court-métrages d’animation. De quoi, ci-dessous, vous mettre l’eau à la bouche :


Björk — Mutual Core — réalisé par Andrew Thomas Huang — 05'27''



L’ours et le lapin — réalisé par John Lewis — 02'09''



Solipsist — réalisé par Andrew Thomas Huang — 10'10''



[le chouchou de l’Escargot]

Oh Willy… [bande-annonce] — réalisé par Emma De Swaef & Marc James Roels — 01'07''

Le retour de l'escargot (4/4)

Les Escargots ailés avaient plié bagage et remontaient vers le nord.
Interprétant cette rencontre comme un signe du destin, je décidai de me joindre à ceux qui allaient peut-être me rapprocher de mon trapèze ou, qui sait, m’y ramener une bonne fois pour toutes.

La joyeuse et imposante caravane se remit en marche, pour une lente traversée du centre de la France, qui devait conduire tout ce petit monde à Paris. Parfois, le cirque dressait son chapiteau dans une ville ou un village pour quelques représentations.

J’étais un escargot heureux. Toute la troupe m’avait adopté(e), hommes et bêtes.
Paula Valéry, la dresseuse de tigres, me trouvait très exotique et voulait absolument m’intégrer à son numéro, mais je refusai catégoriquement. Même s’ils avaient belle allure avec leur fourrure rousse rayée de noir, je ne voulais pas partager une cage avec des mammifères carnivores. Par contre, j’acceptai, au pied levé, de rendre service au célèbre illusionniste italien Bernardo Cormieri, dont l’un des tours mettait en scène une blanche colombe. Cette dernière venait de lâcher les Escargots ailés pour suivre d’un coup d’aile une tourterelle rieuse qui avait su l’embobiner avec ses roucoulades.
Le magicien humilié, abattu par la trahison des tourtereaux tourterelles, menaçait de ne plus entrer en piste. Mais c’était sans compter sur le directeur du cirque, pour qui The show must go on, y compris les jours de tempête. Puisqu’il n’y avait plus de colombe pour sortir du chapeau, ni de lapin savant, pourquoi pas un escargot ? Après tout, l’important n’était pas l’animal mais le caractère magique de son apparition !
Flattant l’ego de Cormieri, le rusé directeur mit en avant le caractère exceptionnel, voire novateur d’un tel numéro. Jamais un escargot n’avait surgi d’un chapeau. La prochaine représentation serait une première mondiale, qui assurerait définitivement le succès international à l’illusionniste ! Cormieri, convaincu, m’engagea sur-le-champ.
Pour que les spectateurs me voient mieux, on me couvrit de paillettes fluorescentes, qui me changèrent en luciole colimaçonne du plus bel effet.
Je m’amusais beaucoup.

Après plus de trois mois de voyage, camions et caravanes atteignirent Paris. À regret, je dus quitter mes nouveaux amis. Cormieri, inconsolable, se cramponnait à mon péristome. Au terme d’adieux déchirants à l’orée du bois de Vincennes, je m’accrochai au porte-bagages d’un Vélib’, navré d’en avoir fini avec ce long voyage sud-nord, mais heureux de remonter bientôt sur le trapèze où j’allais retrouver mon si cher caracol.

Texte : Joëlle Olivier
Illustration : pebblepixie.deviantart.com

Le retour de l'escargot (3/4)

Sur la pente où je me trouvais, qui descendait jusqu’à la rivière, je profitai de ma forme hélicoïdale pour exécuter un magnifique roulé-boulé.

Au centre du champ se dressait un petit chapiteau avec, tout autour, quelques manèges et baraques de foire. Sur une grande pancarte, en lettres rouge et or, était inscrit : Les escargots ailés, compagnie de cirque aérien.

Nom d’un caracol !

J’approchai lentement du chapiteau, espérant profiter d’une représentation au cours de laquelle je pourrais admirer des collègues trapézistes. J’arrivai hélas trop tard. Le spectacle était terminé, et seuls les manèges, les baraques à pommes d’amour, à guimauve et barbe à papa brillaient de tous leurs feux.

Déçu(e), je m’éloignai et repris mon bonhomme de chemin.

Il me fallut plusieurs semaines de marche avant de repérer un long cortège d’étranges camions colorés stationnés le long de la route. Comme j’ai une très mauvaise vue, je compris seulement de quoi il s’agissait lorsque je me trouvai nez à nez avec un visage de CLOWN .

« Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement “de fil en aiguille”.
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible… »

(Henri Michaux, « Peintures » (1939), in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie/Gallimard, 1966)

Texte : Joëlle Olivier
Illustration : Jeremias Ritter (vers 1630)

Le retour de l'escargot (2/4)

Sur les roues gigantesques (surtout pour un escargot), bien ancrées dans le sol, des inscriptions en grosses lettres blanches brillaient au soleil, tatouages impressionnants pour bikers professionnels : « Defender SRX+4, radial 505 ».
Respect !
Je restai un long moment en contemplation, me demandant comment j’allais grimper sur cet engin sans me faire remarquer, quand soudain les deux occupantes arrivèrent, prêtes à prendre la route. Un spectacle, ces deux routardes. La pilote portait un short blanc très court, des chaussures à talons aiguilles noires et cloutées, un bustier en cuir faisant bien ressortir sa poitrine généreuse (comme disait Pierre Dac : « La poitrine et le derrière sont les pare-chocs de l’amour »), deux poignets en cuir et sur la tête un casque noir à visière transparente décoré d’une tête de mort. Impressionnante, la dame.
Sa copine était plus classique : jupe courte et petit haut noir en crochet. D’un banal. Heureusement, elle était chaussée de jolies bottines tigrées noir sur fond bleu ciel et son casque était rose avec une visière blanche, joliment assorti au fuchsia de la carrosserie.
Je n’avais qu’une envie, partir avec elles sans savoir où elles me mèneraient. J’arrivai à me hisser péniblement sur le marchepied arrière et n’eus que le temps de me ventouser au siège en cuir avant que le ronronnement du moteur emporte la lourde cylindrée sur les routes sinueuses du Massif central.
Un régal, ce voyage au pays de la fourme d’Ambert, du Laguiole et du Cantal, qui nous mena jusqu’à Nevers où je quittai mes deux bikeuses, qui avaient remisé leur rutilant véhicule dans un garage des bords de Loire.

Puisque l’occasion m’était donnée, je décidai de rendre visite à mes cousins de Bourgogne, les Helix Pomatia, hébergés par un maraîcher à la Baratte, petit hameau situé à l’entrée de Nevers.
J’y passai quelques jours tranquilles entre laitues et batavias, bavant devant des scaroles magnifiques et caracolant au-dessus de prometteurs radis roses qui me rappelaient le casque de moto que j’aurais bien emporté si je n’avais pas été un gastéropode.

Après une semaine de farniente chez les cousins de Bourgogne, je décidai de reprendre la route qui me ramènerait bien un jour à la maison.
Avançant à la vitesse de l’escargot sur des chemins de traverse, et sans savoir comment j’allais m’y prendre pour quitter ce train de sénateur, j’arrivai dans un village au son d’une fanfare qui semblait provenir d’un champ en contrebas d’une rivière.
Braquant mes tentacules dans cette direction, mes épithéliums olfactifs (pour ne pas dire mes deux nez) ramenèrent jusqu’à moi une douce odeur de barbe à papa ! Je décidai d’aller y voir de plus près. (à suivre)

Texte : Joëlle Olivier
Illustration : Digitalstudio sur depositphotos.com