tous les cris de tous ensemble


Découvrant ces jours-ci, grâce à L’Autre Hidalgo, Jean Duperray (1910-1993) et ses épatants Harengs frits au sang (parus en 1954, puis à nouveau publiés en 2010 par L’Arbre vengeur), l’Escargot vous en propose ci-dessous un extrait, car les harengs de Duperray c’est bon, mangeons-en :

« Naraigue apparaissait à un brusque tournant, après le pont de fer sur l’Urcq, comme un serpent se tordant dans les fonds sur son vieux lit de pierres et la musique d’orgue déjà envahissait les campagn’alentour et les arbres en file, les odeurs de friture de guimauve et de choux, de lard cuit et de soupe, de vin rouge et les cris qui poussaient les odeurs et les couleurs des bâches vers un long paroxysme que rien ne faiblissait comme un cri fait de tous les cris de tous ensemble, comme un cri fait de vin, comme un vin fait de sons, comme un son fait des teintes des étoff’au marché, étoffes faites du vert des légum’au marché, marché fait tout de rouge des fleurs rouge’en corbeilles, corbeilles fabriquées dans de la foule en bruit, bruit de foule refait de la sueur de cri, cri de sagesse lente comme des messes basses de tous ces moustachus qui poussaient du bétail, de ces fill’effrontées portant des oies au bras, poussant des culs de veaux pour passer les premières, insultant de leurs rires leurs lents propriétaires. »




Bonus déniché sur l’Alamblog (Arts, 15-21 septembre 1954, page 6) :

« Nom : Duperray
Prénoms : Jean (usuel), Antoine (inusité)
Âge : 44 ans
Passé : enfance et adolescence dans les quartiers populaires de Saint-Étienne où son père était instituteur, et au village de Bussières, où ses grands-parents étaient lisseurs. Écrivait des nouvelles fantastiques, des récits “apaches”, et des “croquis de rue” dans un journal d'étudiants de Marseille. Militant syndicaliste anarchisant depuis 1926 (aux côtés de Simone Weil, de 1933 à 1936). Manœuvre maçon deux mois à Bussières (1928), douze jours à Marseille (1931). À “L'insurgé” de Lyon (réseau A. Buckmaster) pendant la guerre, “en tant que résistant au fascisme et au chauvinisme résistant”.
Présent : Instituteur à Saint-Étienne ; militant syndicaliste ; du comité d'amnistie d'outre-mer ; en rapport de sympathie avec les milieux marxistes révolutionnaires indépendants.
Aime : l'amour, l'érotisme, la truculence ; la mer, l'océan, les montagnes, les ports ; les camelots, les marchés aux puces, les rues (la nuit), les rengaines, les chansons de Bruant, de Mac Orlan, de Prévert ; les voyages vagabondages, le camping ; le cinéma, langage des images (Fritz Lang, Charlot...), tous les spectacles, le théâtre, le cirque ; le jeu d'échecs ; les beaux objets, les œuvres difficiles, les discussions patientes ; ceux qui ont la foi, ceux qui s'en passent ; les militants syndicalistes. Mouloudji, les Frères Jacques, Gréco, Montand, Brassens, Marianne Oswald, l'équipe du Canard Enchaîné.
Préfère : Marcel Allain, Gaston Leroux, Maurice Leblanc et les classiques policiers.
— Dostoïevski, Zola, Rimbaud, Proust, Breton, Apollinaire, Cendrars, Camus, Malraux, Manès Sperber, Galzer, Victor Serge
— Les grands romanciers chrétiens : Bernanos, Greene
— Les “grands écrivains à l'état pur” : J. Joyce, Malcolm Lowry, Miller, Sade, Jean Genet et encore Breton »

[illustration : Pieter Aertsen, Scène de marché]

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