Ce matin, le soleil a bon appétit (11)


16 août 1977 : la mort d’Elvis Presley
À J-3, l’Escargot évoque pour vous les influences musicales qui ont fait le King.

[W.C. Handy - Memphis Blues]

[le texte est extrait de Louons maintenant les grands hommes, James Agee (trad. Jean Queval)]

C’était des hommes jeunes, vingt et trente ans, pas plus, néanmoins très vieux et assagis, avec ce teint de suie que nulle lumière ne peut rehausser, et allant avec ce teint des dents bleues et le globe jaune des yeux. Ils portaient des pantalons pressés, des chaussures lavées, des chemises blanches brillantes d’avoir été empesées, des cravates claires, et ils tenaient à la main leurs chapeaux de paille blanchis, et à la hauteur du cœur étaient épinglés les rubans mauves et dorés d’une société d’obsèques religieuses.




[Big Mama Thornton - Hound Dog]

Ils avaient été convoqués afin de chanter pour Walker et pour moi, histoire de nous faire entendre de la musique nègre (pourtant nous avions fait tout ce qui était en notre pouvoir pour leur épargner et nous épargner les effets de cette convocation), et ils restaient là patients, comme pris dans une frise, tout raidis, dans l’ombre de la chênaie, leurs chapeaux et leurs chemises les abritant de la lumière, attendant qu’on leur porte intérêt et qu’on les délivre, car au moment où l’enfant les avait rattrapés ils se rendaient à l’église ; et maintenant qu’on les regardait et qu’avait été donné l’ordre, ils firent quelques pas en avant, sans sourire, et s’arrêtèrent, formant une ligne rigide, et, après un échange de coups d’œil gênés, l’aîné marquant le rythme du pied sur le sol, ils chantèrent.

[The Prisonaires - Just Walkin’ in the Rain]

Comme je m’y étais attendu, c’était, non dans le style euphonique et moelleux du quatuor Fisk, mais dans le style des Mitchell’s Christian Singers : saccadé et torturé, rocailleux et dur, comme accentué au marteau et au burin, entièrement empreint d’une vitalité rythmique itérative, paralysante presque, avec des harmonies à rompre les nerfs. Ainsi, dans la musique occidentale, ce sont les deux premiers siècles de polyphonie qui se rapprocheraient peut-être de cette austérité ; mais ici, il s’agissait entièrement d’instinct. Les cassures du chant étaient comme une danse de plantes à l’accéléré, les chanteurs vivaient comme profondément enfoncés dans la terre, leurs yeux n’étaient fermés ni ne regardaient qui ou quoi que ce fût.



[Chuck Berry - Maybellene]

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