Ce matin, le soleil a bon appétit (12)


16 août 1977 : la mort d’Elvis Presley
À J-2, l’Escargot continue d’évoquer pour vous les influences musicales qui ont fait le King.

[Roy Brown - Good Rockin’ Tonight]

[le texte est extrait de Louons maintenant les grands hommes, James Agee (trad. Jean Queval)]

L’aigu rauque du jeune ténor, le baryton strident qui atteignait le plus haut point du registre, la gorge dure comme le poing, et la basse, roulant eût-on dit des roues de fer, la main crispée puis relâchée accompagnant l’effet des ellipses, la tension et la détente qui vient après. Et abruptement ce fut le silence, et vierge d’expression, absolu. Le propriétaire, froidement, souriait. Il n’y avait rien à dire. Je les regardai dans les yeux, avec un respect total et franc, et dis, c’était mieux que bien. Avez-vous le temps de chanter encore une fois pour nous ?



[Lowell Fulson - Reconsider Baby]

Ils échangèrent des regards rapides, comme si mentalement ils avançaient vers un point commun, marquaient une pause et se recomposaient en eux-mêmes, et ils chantèrent encore, cette fois une complainte, plus lente. J’eus le sentiment, à leur silence préalable, que c’était leur chant favori, leur cause de fierté propre. La voix du ténor s’éleva seule au long d’une ligne musicale solitaire suspendue comme le feu du ciel, ou un écho de sifflet, la note va sombrer, elle sombre, dans des modes de decrescendo que je n’avais pas encore entendus, elle sombra dans les bras et la poitrine de la basse, comme d’une croix s’affaisserait un corps et du baryton s’éleva une longue ligne noire, de commentaire…

[Smiley Lewis - One Night of Sin]

… et ce fut une longue mélopée au ralenti, comme des circonvolutions, quelque chose, mais quoi, roulant par les grandes profondeurs d’une mer orageuse, la voix rencontrant la voix comme dans un rêve un bateau un bateau, se retirant, la rencontrant encore, un tissage, insistant, avec des digressions dans les temps et des retours sur soi, pas un air du tout, la même déclivité, le baryton prenant le dessus, sorte de métacentre, murmurant entre majeur et mineur, au long d’un ton unique, en aucune clé qu’on pût dire, la reprise du ténor montant, comme un cor, un haut fil dur, le vol de l’oiseau, à pleine déclamation presque, puis échouant, silence ; mais une autre reprise, une amplification, les autres le soutenant, mais seul encore, seul…



[Rufus Thomas - Walking the Dog]

Aucun commentaire: