Ce matin, le soleil a bon appétit (16)

[© DR – Tant qu’il y aura des hommes]

Roland Barthes : « L’écrivain en vacances » in Mythologies
Extrait 3/4
(les deux premiers extraits ici et )

Celui-ci concède sans doute qu'il est pourvu d'une existence humaine, d'une vieille maison de campagne, d'une famille, d'un short, d'une petite fille, etc., mais contrairement aux autres travailleurs qui changent d'essence, et ne sont plus sur la plage que des estivants, l'écrivain, lui, garde partout sa nature d'écrivain ; pourvu de vacances, il affiche le signe de son humanité ; mais le dieu reste, on est écrivain comme Louis XIV était roi, même sur la chaise percée. Ainsi la fonction de l'homme de lettres est un peu aux travaux humains ce que l'ambroisie est au pain : une substance miraculeuse, éternelle, qui condescend à la forme sociale pour se faire mieux saisir dans sa prestigieuse différence. Tout cela introduit à la même idée d'un écrivain surhomme, d'une sorte d'être différentiel que la société met en vitrine pour mieux jouer de la singularité factice qu'elle lui concède.
L'image bonhomme de « l'écrivain en vacances » n'est donc rien d'autre que l'une de ces mystifications retorses que la bonne société opère pour mieux asservir ses écrivains : rien n'expose mieux la singularité d'une « vocation » que d'être contredite — mais non niée bien loin de là — par le prosaïsme de son incarnation : c'est une vieille ficelle de toutes les hagiographies. Aussi voit-on ce mythe des « vacances littéraires » s'étendre fort loin, bien au-delà de l'été : les techniques du journalisme contemporain s'emploient de plus en plus à donner de l'écrivain un spectacle prosaïque. Mais on aurait bien tort de prendre cela pour un effort de démystification. C'est tout le contraire.
Le second avantage de cette logorrhée, c'est que par son caractère impératif, elle passe tout naturellement pour l'essence même de l'écrivain.



[Barbara - Paris 15 août]

Aucun commentaire: